La représentation du Bien dans la pop-culture

Introduction

    Il n'y a rien d'original dans le fait de préférer les méchants aux gentils dans les films, surtout quand on a onze ans. 
    Quand j'avais cet âge (sans doute un peu moins), j'aimais discrètement écouter aux portes les conversations des adultes. Ce soir-là, un ami de mon père qui avait un jeune fils s'étonnait, se questionnait à propos de l'attrait de ce dernier pour le mythique Dark Vador dans la saga Star Wars. Il se demandait pourquoi il ne s'identifiait pas davantage à Luke, ou pourquoi pas à Han Solo. Voilà une règle qui ne semble pas être une exception : si les héros gagnaient à la fin du film, les méchants gagnaient et gagnent encore le coeur du public, et ce quel que soit l'âge.
    Moi-même étant enfant et adolescent, les personnages de méchants me semblaient plus charismatiques, mieux écrits, plus attachés à leurs idées et valeurs, et posant un regard plus "réel" sur le monde qui les entoure. En ce qui concerne les gentils, il en était tout autrement, et c'est encore le cas aujourd'hui.

La conception archétypale du héros

    Mais alors pourquoi les gentils ont tant de mal à charmer les spectateurs ? Il y aurait sûrement un bon nombre de motifs à relever. Les lettrés et les cinéphiles nous diraient que c'est inscrit dans l'archétype même de leurs personnages, principalement pour des raisons pragmatiques et d'écriture, et par là je veux parler de la notion d'identification : le héros doit être le plus universel possible pour que les spectateurs puissent confondre leur point de vue au sien et créer un lien d'empathie puissant (cela est encore plus vrai dans les jeux vidéos). 
    Voilà une très bonne raison… Mais ce n'est pas de cela dont j'ai envie de discuter aujourd'hui. 

Bien & Mal face au réel

    Car dans le cas qui nous occupe, le spectateur insatisfait ne se contente pas de se ranger aux côtés de celui qu'il devrait honnir : son acte d'obédience s'accompagne quasi toujours d'un mépris profond pour le héros et ses adjuvants. On dit d'eux qu'ils sont superficiels, creux, à l'humour douteux et déplacé, voire complètement hors sols. Mais au point de les haïr ? 
    C'est un sentiment auquel j'ai souvent été confronté, aussi bien face à des bons qu'à de mauvais films. Ce n'était pas qu'une question d'affect pour des personnages. Ma colère n'était pas seulement basée sur des préoccupations techniques d'écriture. Le problème que j'essayais de toucher du doigt relevait de la philosophie, de la "morale" dans le métier même de scénariste, d'écrivain, de showrunner ou de concepteur de jeux vidéos. 
    Dans un monde comme le nôtre en proie aux guerres, aux famines, à la pauvreté et aux régimes politiques autoritaires, où tout un chacun essaye de survivre économiquement et spirituellement dans une société de plus en plus morcelée, la fiction est devenue un véritable refuge pour nos esprits meurtris par les épreuves. La fiction elle-même se fait au fil du temps de plus en plus sombre, toujours en quête de se rapprocher le plus fidèlement possible de l'horreur du monde réel. Si bien que les méchants dépeints dans les films fantastiques ou de superhéros en deviennent de plus en plus puissants. On a eu l'exemple relativement récent dans les films Marvel de Thanos, qui, d'un claquement de doigts, est capable d'anéantir la moitié de l'univers, et ce pour des raisons morales qui ont séduit bon nombre de téléspectateurs… 
    Face à la montée en puissance des antagonistes dans la fiction, les scénaristes et autres scribouilleurs patentés sont obligés de recourir aux subterfuges les plus astucieux jusqu'aux ficelles scénaristiques les plus grotesques… Et c'est là que nous touchons au coeur du problème.

Une question de pragmatisme

    Maintenant que le Mal est arrivé au zénith de son potentiel destructeur, les gentils se retrouvent bien embêtés. Que faire pour renverser la vapeur ? Quelle arnaque nos scénaristes ont-ils trouvée de mieux pour éviter le pire ? : la force de l'amour. On peut penser à des films comme "le cinquième élément", mais il serait extrêmement laborieux de citer tous les exemples existants tant il y en a. Combien de fois dans nos vies de consommateurs de fiction avons-nous assisté à cette triste et sempiternelle fin ou le héros parvient, au dernier moment, à se faire le vaisseau de l'amour universel, combien de fois a-t-on assisté, atterré, à l'avènement d'un formidable Deus Ex Machina qui, comme un gosse de quatre ans un peu trop susceptible, vient renverser le plateau d'échecs au lieu d'essayer de gagner dans les règles. 
    Voilà pourquoi je préférais les méchants quand j'étais petit : tout simplement parce qu'ils étaient plus en phase avec le réel. Les antagonistes, dans la grande majorité des films, utilisent toujours des moyens logistiques et pragmatiques qui se rapprochent de moyens et des forces que l'on a déjà vues dans le réel et dans l'histoire. Non seulement ils convainquent les spectateurs du bienfondé de leurs projets délétères, mais ils arrivent à les mettre en œuvre et à montrer le processus à l'écran. Quant à nos pauvres petits gentils, ils n'auront ni le temps ni l'intelligence pour élaborer un plan aussi ambitieux, complexe et réaliste que leurs opposants. Faisons plutôt appel à la force de l'amitié en joignant nos mains, ça a si souvent marché… 

L'exercice du Bien, aujourd'hui

    "The Batman", réalisé par Matt Reeves, est sorti en France le 2 mars 2022. étant le seul superhéros que je supporte, j'étais curieux de voir la nouvelle version de l'homme chauve-souris. La trilogie de Christopher Nolan, sauvée par la prestation fantastique de Heath Ledger, m'avait dans l'ensemble déçu. J'attendais de ce dernier opus quelque chose de plus sombre, plus ancré dans le personnage et moins dans le délire "réaliste". Si le film a plu à la majorité des gens l'ayant vu en salle, il n'est pas exempt de défaut (on peut citer par exemple le côté enquête et énigmes assez peu recherché). Mais avec la superbe prestation de Robert Pattinson en ce jeune Batman torturé, la réalisation folle de Matt Reeves, l'ambiance sonore et l'esthétique glauque à souhait, j'ai été profondément charmé, voire, dans certaines scènes, secoué. 
    Mais ce qui m'a définitivement convaincu dans ce film, c'est sa résolution, et c'est là que nous retombons sur nos pattes avec le sujet de la représentation du Bien (et du Mal) dans la pop culture. À la fin de "The Batman", les méchants… ont gagné. Malgré tous les efforts du chevalier noir, ses adversaires se sont montrés plus organisés, plus malins, plus déterminés. Mais alors, comment réagit Batman, dans cette résolution plus que pessimiste ? C'est là tout l'art de répondre à notre problématique.
    À la fin du film, Batman décide de faire ce qu'il est capable de faire à l'instant T : comme les autres habitants de Gotham  
il se retrouve impuissant, dans une ville détruite et quasi totalement inondée, et au lieu de repartir bille en tête pour botter le cul des méchants avec une nouvelle et surpuissante technique sortie de derrière les fagots, il fait ce que tout homme de bien devrait faire dans sa situation : laisser les méchants fêter leur courte victoire et redescendre dans l'eau, tendre la main aux sinistrés pour les aider à remonter. Et voilà. Fin du film.  
    Le monde dans lequel nous vivons est triste et cruel, et cela Matt Reeves et Peter Craig, les deux scénaristes, l'ont très bien compris. Et ce n’est pas avec des sorts de Magical Girl qu'on va régler les problèmes du dehors. Il faut aller sur le terrain, près de chez soi, tendre la main aux gens autour de nous, c'est-à-dire partir du plus bas. Pourquoi ? Parce que c'est là qu'on peut vraiment faire quelque chose. Sur cette planète mondialisée, où les populations citadines sont déchirées par la distance et l'anonymat, on comprend doucement que l'on ne peut pas changer le monde. Mais changer la vie de quelqu'un, ça ce n'est pas un Deus Ex Machina : c'est dans l'ordre des choses.

Conclusion : de la moralité dans l'écriture

    Quand on écrit, on ne se contente pas d'amuser sa petite personne : nous avons un rôle sociétal à remplir. Certes, les formats sont de plus en plus standardisés, et surprendre le consommateur est devenu un défi de chaque jour. Ils sont de plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus difficiles à satisfaire. Alors, pour pallier cette demande de plus en plus déraisonnable, on en arrive à utiliser les subterfuges les plus douteux. Mais c'est là que nous faisons fausse route. En représentant notre monde à travers notre médium de prédilection, nous établissons un pronostic, nous décrivons le mal en action et nous nous devons en conclusion de montrer le bien résoudre le problème initial, en laissant le monde meilleur derrière nous. Nous n'aidons PERSONNE en montrant des personnages sortir des pouvoirs de leur anus par la force de l'amour cosmique. En faisant cela, nous ne prouvons qu'une chose aux personnes qui ont bien voulu prêter attention à notre travail : 
" Oui, ce monde est complètement foutu, et personne ne sait quoi faire. Et vous savez quoi ? Nous non plus."
 Alors, avant de balancer votre meilleure eucatastrophe au visage de vos lecteurs/spectateurs, pensez plutôt à ce que représente votre travail pour vous, remémorez-vous les œuvres qui ont marqué votre vie et qui vous ont donné envie d'écrire. Peut-être retrouverez-vous réellement la foi en votre métier, et par là même, reprendre conscience de vos devoirs en tant qu'auteur.

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