[ - MI/YST(E) - ]

Myste

Du latin mysta, emprunté au grec μύστης, mústês (« initié qui a promis de se tenir la bouche close, d'être silencieux »)

1. Initié qui a juré le silence.

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    Les seuls moments où enfant je me sentais à ma place étaient lorsque je me retrouvais seul au milieu de la nature et que j'avais le temps de l'observer dans ses plus infimes détails. Je sévissais déjà à l'époque dans l'art du complexe de Dieu. Il me suffisait de dévier le cours d'un ruisselet à l'aide de pierres, de terre et de microbranchages pour que je me sente tout puissant. Maitrisant mon petit monde, j'oubliais mon impuissance infantile et les frustrations du monde à l'échelle de l'Homme.
   Dans les années qui suivirent, j'ai dû comme tant d'autres patiemment accoutumer mon âme à la voix du Récit, l'Esprit de notre Temps. Le monde et ses paysages macroscopiques n'avaient plus rien à m'offrir, car j'en savais désormais trop pour les apprécier. Il faudra attendre l'aube de mes trente ans pour que je puisse retrouver une nouvelle aire de paix, mon cosmos annexe.
    Devenir un myste consiste en ceci :

Côtoyer le mystère en veillant à ce qu'il ne remarque jamais notre présence.
    
    Toute mon identité, tout mon être-là tourne autour de mon rapport au mystère. Je ne cherche pas à le dévoiler, à le réduire, encore moins à le partager. Comme le primatologue dans le creux des jungles simiesques, j'atténue ma présence au stade de la rumeur et mon corps n'est plus qu'un bruit naturel ; enfin je peux observer le mystère comme si personne ne le voyait. Ma réussite se mesure à ma faculté de kénose. 
    Ma mystique ne se résume pas au partage d'un secret. Je n'apprends pas à comprendre, mais à ne pas savoir. Je n'initie pas l'Homme à la connaissance transcendante, mais à la transcendance de l'ignorance inhérente à son espèce. C'est en cela qu'en tant que myste, conformément à l'étymologie, que je garde le silence.
    Mais si je devais avoir un secret, le voici : il ne peut y avoir de secret si on ne peut le garder.